10 Octobre 2017
Alors que Christian Estrosi porte lundi matin au conseil métropolitain une mesure pour favoriser l'emploi des fils de harkis, Nice-Matin part à la rencontre d'une communauté qui, 55 ans après la guerre d'Algérie, attend toujours la reconnaissance de la France.
Nous sommes allés à la rencontre de ceux qui ont choisi le camp de la France contre le FLN pendant la guerre d’Algérie. Après les accords d’Évian, " l’Algérie les appellera des rats, Des traites, Des chiens, Des apostats, Des bandits, Des impurs. La France ne les appellera pas, ou si peu. La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d’accueil " écrit Alice Zeniter , dans " L’Art de perdre"
Dans ce roman événement de la rentrée littéraire, l'écrivaine elle- même petite fille de harki, interroge ses racines, le choix d'un camp, le sang et le mépris de la France pour ses anciens alliés, la France qui les parque et les rend invisibles.
Dans les Alpes-Maritimes, ils sont 20 000 Harkis, première, deuxième, troisième génération à se transmettre la douleur en héritage, les anciens ont attendu - en vain - la reconnaissance. Leurs fils et petit-fils attendent réparation. Une loi de réparation pour que 55 ans après les accords d’Évian, se termine cette guerre sans fin où ils ont tout perdu.
Portrait d'une communauté bannie par ses frères d'armes français.
A gauche, Georges Messaoud, né en Algérie, avec son frère Mohamed, né en France. Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi
Il compte sur ses doigts. "J'ai fait trois camps… Euh non, quatre." Comme si le nombre avait une importance. Comme si la douleur se comptait.
Lui, la douleur, il ne sait que la conter, encore et encore, devoir filial de celui qui l'a reçue en héritage, récit ininterrompu comme une requête d'identité et d'honneur lavé.
En 1992, Mohamed Messaoud a créé l'association des harkis et de leurs amis de Carros pour témoigner, commémorer, raconter inlassablement la douleur de son père, de ses frères, de "ces anciens qui sont morts avec le sentiment d'avoir été les chiens de la France."
Mohamed Messaoud avait 6 ans quand il a quitté l'Algérie. C'était le début de l'été 1962. "Un jour, les militaires ont encerclé notre village. Mon père est entré dans l'école et on est montés dans des camions bâchés. Ils nous ont emmenés jusqu'à la caserne de Blida. Là, il y avait des Pieds-Noirs qui attendaient.
On a rejoint un campement en bord de mer et on nous a mis dans des bateaux. Ils étaient immenses, tellement grands, que je croyais que c'étaient des immeubles qui avançaient sur l'eau. On ne savait pas où on allait. La France, on ne la connaissait pas."
Voilà comment, Mohamed Messaoud est parti, avec ses parents et ses trois frères et sœurs.
Fils de harki, fils banni, fils honni. Il n'a compris que des années plus tard ce que cela signifiait et ce que ça lui coûterait.
Son père, "qui cultivait du tabac pour les colons dans une ferme" avait fait le choix de la France quand la guerre est arrivée jusqu'à leur petit village d'Oued-Djer.
"Les colons qui l'employaient le traitaient bien et puis l'armée française lui donnait un petit pécule pour nourrir la famille. Alors, il s'est engagé. Il l'a payé cher". Ses enfants aussi.
"On a débarqué à Marseille le 21 juin 1962. Ils nous ont parqués dans un camp. Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme. C'était des tentes militaires. Les harkis qui arrivaient en premier montaient celles des suivants. On était quatre ou cinq familles par tente. Nous, les gosses, on jouait. Nos parents se taisaient."
"HARKI, ON NE SAVAIT PAS CE QUE ÇA VOULAIT DIRE"
L'hiver est arrivé, le premier de huit hivers cantonnés. Une enfance dans des camps pour avoir choisi le camp de la France. "On nous a mis dans des trains et emmenés au camp de Rivesaltes."
Mohamed Messaoud se rappelle le froid, la rudesse, l'école dans une caserne militaire. Et les chefs de camps: "des Pieds-Noirs. Ils nous donnaient des ordres, c'était comme là-bas.
Une fois, mon père a failli se battre avec l'un d'eux qui voulait me faire ramasser des papiers alors que j'étais malade… Sinon, on ne se plaignait pas: dans d'autres camps, les harkis étaient enfermés derrière des grillages, des barbelés et les CRS les empêchaient de sortir."
Puis, il y a eu le camp de Néoules dans le Var. Et enfin, le hameau de forestage de Mouans-Sartoux. "Le camp était à trois, quatre kilomètres du village. Pour aller l'école, on faisait le trajet quatre fois par jour à pied. On était 65 familles. Chacune avait cinq ou six enfants. On vivait entre nous. Dehors, c'était un monde à part. On savait qu'on était harkis parce que notre père avait une carte nationale d'identité harkie mais on ne savait pas ce que ça voulait dire. Mon père ne nous racontait pas l'histoire, Et, nous, on n'osait pas en parler. C'est les gens de l'extérieur qui nous l'ont dit, ils disaient qu'on était contre l'Algérie. Pour nous, ça ne veut pas dire ça: ça veut dire qu'on a choisi la France et que la France nous a abandonnés."
En 1971, le père de Mohamed Messaoud a quitté les camps pour un appartement. Le début d'une nouvelle vie.
Mais une vie avec ce manque toujours, cette douleur, cette reconnaissance jamais venue. "Mon père disait toujours qu'il était content d'avoir fait ce qu'il avait fait. Il ne disait peut-être pas ce qu'il avait dans le cœur. Je crois qu'il est parti avec ce sentiment de honte…"
Le père est mort sans jamais revoir l'Algérie. Mohamed Messaoud, lui, est retourné "une fois" sur la terre où il est né, "pour voir." Il ne fera pas d'autre voyage. "Mon pays, c'est la France, je suis fier de ce qu'a fait mon père. Notre sang est là."
09/10/2017
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