26 Février 2025
- Mis jour, jeudi 27 février 2025 à 8 h 40' -
Des tombes vides, des corps déplacés sans un mot, et une mémoire qu'on voudrait effacer. À Rivesaltes, au nord de Perpignan, l'histoire des harkis se heurte une nouvelle fois à l'amnésie organisée. Plus de soixante ans après leur arrivée dans ce camp insalubre, des familles réclament des comptes. Rachid Mazouz, fils de harki et petite frère d'Ourida, morte dans le camp, raconte à « Charlie » le mystère de ce cimetière harki fantôme.
C’est l’histoire d’un paragraphe perdu dans un livre d’histoire de terminale sur la guerre d’Algérie. Un chapitre sur une mémoire oubliée qui s’efface effectivement d’années en années : les harkis. Ces Algériens appelés ou engagés pour l’armée française dès 1954 qu’on a préféré oublier. Pour oublier la défaite, d’abord, les exactions, ensuite, puis l’indignité de l’accueil qui leur a été réservé – humiliés après le dénouement. Jusqu’à ce que, plus de soixante ans après les accords d’Evian, les plaies s’ouvrent encore un peu. C’était vendredi à Rivesaltes, au nord de Perpignan : Rachid Mazouz, fils d’un harki appelé du contingent en 1954 avec qui Charlie a pu s’entretenir, a pu crier son désarroi.
Ça a commencé le 10 décembre dernier. Ce jour-là, il y en avait de partout dans la presse locale pyrénéenne : du « mystère », du « secret » et des « traces » autour d’un cimetière d’enfants disparu depuis des dizaines d’années sur le camp de Rivesaltes, lieu de passage de nombreux harkis après la guerre d’Algérie, entre 1962 et 1977.
Capture illustration HD
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" Ma grande faute, c'est de ne pas avoir suivi de façon plus précise, il y a quarante ans, jeune maire, le déroulement de ces opérations. " André Bascou
Plus de cinquante tombes, tout de même.
😡🤐
Le maire, André Bascou, fait alors une annonce lourde aux familles de harkis : après des années de fouilles, les sépultures perdues ont été retrouvées vides. « Une phalange et un coccyx, c’est tout ce qu’on nous a donné », dit Rachid Mazouz, les lèvres pincées d’amertume.
« D’un enfer, ils sont passés à un autre »
Il n’était pas né, Rachid, lorsque ses parents et sa sœur arrivent au camp de Rivesaltes après huit ans de guerre d’indépendance. « Je dois ma vie à des officiers et sous-officiers de l’armée française, qui ont sauvé mes parents d’une mort certaine en les envoyant en France, tempère-t-il d’abord. Mais d’un enfer, ils sont passés à un autre. Une sorte de camp de concentration. » Nasser Nouali, lui aussi fils de harki et président de l’association Les harkis et la République, parle même de « camp de la honte ». D’après lui, ce sont plus de 20 000 harkis qui défilent dans les baraquements sommaires de Rivesaltes avant de rejoindre d’autres camps, « entassés comme des bêtes », où l’hiver et la faim sont durs. Djelloul Mimouni, qui y a aussi transité avec sa famille dans les années 1960, raconte aussi la tuberculose et les maladies qui s’y installaient. Les harkis malades alors bien souvent renvoyés à Rivesaltes pour limiter les propagations sur le reste du territoire.
Et ainsi, la mort s’installa sur le camp. Comme une cinquantaine d’autres enfants et nourrissons, la sœur de Rachid Mazouz meurt « au bout d’un mois seulement », dit-il. « De froid » et de « malnutrition », paraît-il. Comme les autres, encore, elle est alors enterrée dans un champ d’amandiers qui sert de cimetière de fortune – discret mais connu de tous. Puis, au fil de l’errance des familles loin du Sud-Ouest, le cimetière s’efface un peu des mémoires et les hautes herbes sèches se chargent de l’ultime camouflage. Les derniers souvenirs ne subsistent plus que dans quelques têtes et quelques papiers de famille.
Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de descendants de harkis s’en préoccupe dans les années 2000 : celle de Rachid Mazouz. Persuadées que le cimetière et les dépouilles s’y trouvent toujours, les familles se mobilisent alors pour retrouver la trace de leurs proches à force de discussions administratives avec la mairie et le mémorial de Rivesaltes. « Et un beau jour, en 2018, on a reçu un message pour nous dire que le cimetière avait été retrouvé, se souvient Rachid. Ma maman était encore en vie à ce moment-là mais je suis parti en éclaireur pour voir ce qu’on allait trouver, j’avais trop peur qu’elle fasse un malaise. » Et sans doute a-t-il fait le bon choix. Car arrivé sur place, avec d’autres harkis et enfants de harkis comme lui, Rachid découvre « une sorte de déchetterie municipale sur laquelle on a planté un panneau ». Dessus, on y lit seulement les noms des disparus du camp : « Je n’ai rien pu voir de ma sœur », dit-il.
Souvenir en retard
Normal, elle – « Ourida » -, comme les autres enfants morts sur le camp, n’est plus là depuis un moment. Et il faudra six ans de fouilles archéologiques sans cesse interrompues pour s’en apercevoir. C’était l’annonce du 10 décembre dernier par le maire de Rivesaltes : les sépultures sont vides et les corps ont donc été déplacés – on ne sait où alors. « Quoi qu’il arrive nos proches ont été exhumés sans prévenir qui que ce soit », lâche Rachid Mazouz.
Ce vendredi 21 février enfin, en présence de la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, Patricia Miralles , la pièce manquante est tombée. Alors qu’il jouait les amnésiques depuis plus de trente ans, le maire de Rivesaltes a annoncé au parterre de familles venu pour l’occasion le dénouement : « D’après ce que nous avons trouvé dans nos archives, les dépouilles de vos proches se trouvent au cimetière Saint-Saturnin à Rivesaltes. Je tiens à présenter mes excuses. C’était il y a quarante ans, j’étais un jeune maire. Oui, j’aurais dû vérifier ce que mon adjoint de l’époque avait engagé.» Sidération dans la salle bien sûr, et cri de Rachid, donc.
Car l’archive en question ne serait autre qu’un arrêté municipal de 1985 qui aurait permis, sur demande de l’armée, de déplacer les dépouilles suite à la vente d’une partie des terrains militaires au Département, d’après la ministre. Quelques corps alors dégagés pour 30 000 euros, sans qu’ils ne soient d’ailleurs identifiés au passage.
Photo @ Ghalia Thami
Des plaques vides ou des numéros sur les tombes : c’est tout. Et c’est ça qui l’a fait hurler, Rachid. Il ne veut plus rien croire désormais : « J’ai dit au maire que j’exigeais des expertises ADN pour être sûr que ce sont nos familles », fustige-t-il. Une fois de plus, il était venu pour voir sa sœur, en vain. Cette fois, sa mère n’est plus là.
25/02/2025
https://www.harkisdordogne.com/
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