10 Mars 2020
Ce commandant de police âgé de 51 ans ayant grandi dans des camps de harkis et toujours très discret, s'est exprimé lundi dans les colonnes de Midi Libre :
Mohamed Sanhadji : "La France m’a tout donné, je ne lui en serai jamais assez reconnaissant".
Le commandant de police, officier de sécurité de l’équipe de France de football depuis plus de quinze ans, a accepté exceptionnellement de nous répondre.
Vous êtes depuis plus de quinze ans à la tête de la sécurité des Bleus. En quoi consiste votre action ?
Je suis officier des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), je dois beaucoup à cette institution à laquelle je suis resté fidèle depuis plus de trente ans. Il y a deux principales missions dans le cadre de mon action. La première, c’est la liaison avec toutes les administrations, organisations et institutions internationales. Il s’agit de mettre en place, véhiculer et cadrer la bonne information en fonction des lois et règlements du pays dans lequel nous nous rendons.
Ensuite, il y a la partie sécurité. Appartenant au ministère de l’Intérieur et mis à disposition de la FFF, je dois organiser le séjour d’une délégation nationale dans les meilleures conditions, en fonction de divers paramètres que sont la sécurité, la tranquillité et l’intimité du groupe.
Bio express
Né le 19 octobre 1968 à Cadenet (Vaucluse), Mohamed Sanhadji a grandi dans un camp de harkis, aux côtés de ses parents et de ses onze frères et sœurs. Très tôt, il s’est engagé pour servir la France, en devenant gardien de la paix CRS, puis officier CRS. En 1999, il est envoyé au Kosovo, dans le cadre d’une mission des Nations Unies. Blessé lors de cette opération, il est choisi, quelques années plus tard, pour occuper le poste d’officier de sécurité et de liaison auprès de la FFF. Rôle qu’il occupe depuis plus de quinze ans.
Vous êtes considéré par beaucoup comme le “Monsieur République” des Bleus. Pourquoi ?
J’ai grandi dans ce que l’on appelait les camps de harkis. Il n’y avait pas de sanitaires, nous habitions dans des préfabriqués. Nous avons eu faim, nous avons eu froid. Il fallait que les grands de la famille montent sur le toit pour éviter qu’il ne s’envole. C’était un temps où nous ne pouvions faire qu’un repas par jour, certaines personnes nous amenaient des vivres et des habits. Les grands se jetaient sur les pâtes, le riz et les vêtements. Moi, j’étais l’un des plus petits.
Un jour, dans un sac, il y avait un dictionnaire. Il lui manquait des pages mais c’est ce qui m’a permis d’apprendre des choses, de voyager. J’avais 4 ou 5 ans, je me souviens qu’un mot résonnait beaucoup pour moi, c’était le mot République. Même si j’étais baigné dans ce contexte, étant fils de militaire de l’armée française, cette idée de la République, comme je la lisais et la comprenais, me fascinait. La France est tellement riche humainement, je lui dois beaucoup
Vous arrive-t-il d’aborder ce sujet avec les joueurs ?
C’est mon devoir, même si je ne cherche pas à le mettre en avant. Je crois qu’il est important que les jeunes qui arrivent, aussi expérimentés soient-ils sur un terrain, aient en permanence à l’esprit nos fondamentaux. Nous sommes tous des ambassadeurs de la France. C’est important de le rappeler, de le vivre et de le transmettre. Par rapport à mon histoire, c’est quelque chose d’ancré, de très fort. C’est un devoir pour moi de transmettre ces valeurs. La France est tellement riche humainement, je lui dois beaucoup.
Comment se matérialise cette transmission ?
Par une attitude, un comportement. C’est aussi, lorsque le moment le permet, des discussions, des échanges et des explications sur nos valeurs communes. Derrière ce mot qu’est la République, notre souci est de la faire vivre, de lui donner une âme et un corps.
Distingué par le Comité régional olympique et sportif
Entouré d’Henri Émile et de plusieurs proches, c’est ce samedi, à l’Agora du Crès, dans la banlieue de Montpellier, que Mohamed Sanhadji a reçu la médaille d’or de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative des mains du président du Comité Régional Olympique et Sportif (CROS) d’Occitanie.
"Je suis heureux que cette décoration me soit remise dans ces lieux et par Richard Mailhé. Il a été un exemple, un guide pour moi. Je sais ce que je lui dois et ce que nous lui devons tous", a déclaré Mohamed Sanhadji.
À l’image d’Antoine Griezmann, qui s’était confié lors du Mondial 2018 sur la fierté d’être Français, cet enjeu semble avoir été compris par les Bleus…
C’est un travail qui est entrepris depuis des années. Je peux assurer qu’il n’y a pas de tricheurs. Je suis officier de police, j’y suis très attaché et si je ne me sentais pas en phase avec les Bleus, je pourrais travailler ailleurs. Je ressens dans le groupe un véritable amour pour le pays, pour sa richesse humaine, régionale, culturelle et sociétale. Nous formons un tout. C’est devenu un réflexe tout à fait naturel et pas du tout forcé.
Vous ne vous étiez jamais exprimé auparavant dans une interview. Pourquoi maintenant ?
C’est effectivement la première fois que je m’exprime, et sûrement la dernière. J’ai toujours cultivé la discrétion, c’est dans ma nature, mon éducation mais également mon histoire. Si j’ai accepté de parler, c’est parce que l’on m’y a autorisé et que l’on m’a même encouragé à le faire. Je souhaitais renvoyer l’ascenseur et rendre à ce beau pays tout ce qu’il m’a apporté. C’est une démarche très modeste, mon parcours accidenté m’a fait gagner en humilité.
Je me suis très vite rangé dans l’ombre pour pouvoir évoluer et me construire. Ce sont des paramètres auxquels je ne peux pas déroger. Je ne suis en attente de rien, mon unique objectif est de vouloir, très humblement, servir mon pays. Cette interview est une parenthèse que je vais refermer. Elle n’a pas d’autre but que de transmettre mes remerciements à l’ensemble de nos concitoyens, quels qu’ils soient, mais aussi à ce grand pays qui est le nôtre. La France m’a tout donné, je ne lui en serai jamais assez reconnaissant.
Les événements de novembre 2015 ? "Un moment terriblement difficile"
Les tragiques événements du 13 novembre 2015 ont ils accentué le sentiment de fierté d’être Français et d’amour pour le pays ?
Je ne crois pas, cela existait déjà avant. Le 13 novembre nous a fait prendre conscience, à nous tous, de notre triste réalité.
Est-ce l’épisode le plus difficile de votre carrière ?
De la mienne, oui. J’en ai eu d’autres à titre personnel, dans le cadre professionnel (blessé au Kosovo). Mais c’est vrai que cela a été un moment terriblement douloureux et difficile. Ce soir-là, nous avons basculé dans une autre ère. Les enchaînements d’attaques nous ont fait basculer dans moins d’innocence. Nous pensions que le sport pouvait permettre de dépasser certains cadres. Le fait que ces attaques démarrent au Stade de France et la violence des faits perpétrés par la suite nous ont fait basculer dans quelque chose de différent.
La Légion d’honneur vous a été décernée l’année dernière par Emmanuel Macron. Est-ce la récompense du pays pour votre investissement ?
Je ne cache pas que cela a été un moment très fort. Je tiens d’ailleurs à remercier le président de la République. À travers cette récompense, j’ai revu l’histoire des miens, j’ai vu notre communauté nationale dans ce qu’elle peut réaliser de plus extraordinaire. J’ai notamment pensé à ce petit Français que j’étais, avec cette volonté de servir du mieux possible son pays.
Des petits comme moi, qu’ils s’appellent Mohamed, Patrick, José, Paolo ou Mamadou, je suis convaincu qu’il y en a beaucoup aujourd’hui. C’est quelque chose que je souhaite partager avec le plus grand nombre possible de personnes. Derrière toutes ces histoires, il y a quelque chose de commun à tous, que l’on soit concerné ou pas directement. Je ne peux pas oublier ceux qui nous ont aidés et tendu la main lorsque j’étais petit. Je ne saurais peut être jamais le nom de celui qui m’a donné ce dictionnaire, mais il faut qu’il sache à quel point il a été important pour moi.
09/03/2020
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