8 Juillet 2017
Retour en Arrière
Abdelkader Tahar avec sa citation à l'ordre de son régiment,et ses médailles.
Comme ses frères harkis, il méritait beaucoup mieux.
À commencer par des conditions de vie décentes pour lui et sa famille !
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Aux murs de sa maison, sur la commune de Vescovato, des photos de soldats. Son père. Son beau-père. Plusieurs de ses fils aussi, du temps où ils effectuaient leur service national.
« Mais j'ai aussi une fille qui est engagée dans l'armée de l'air, et qui est en poste à Solenzara !» s'empresse-t-il de préciser. Sur un meuble, un cadre contenant une citation à l'ordre de son régiment.
Un document signé, depuis la ville de Tizi-Ouzou, de la main du Général de brigade Simon. On peut y lire la formule ainsi libellée :
«Abdelkader Tahar est un jeune chef d'équipe du groupe mobile de sécurité numéro 21, qui s'est toujours fait remarquer par son ardeur au combat et son mépris du danger. Il s'est particulièrement distingué le 11 janvier 1961 à Tiféra (Grande Kabylie) où le convoi de son unité, de retour d'une opération, est tombé dans une embuscade. Il s'est alors courageusement lancé avec son équipe à l'assaut des rebelles, forçant ceux-ci à un repli précipité. »
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Une citation qui vaut pour croix de la valeur militaire (étoile de bronze) mais fait figure de bien maigre marque de gratitude au regard de ce que cet homme a, comme tant d'autres, consenti de sacrifices pour servir la France. Natif d'Orléansville, Abdelkader Tahar appartient en effet à cette communauté à laquelle la Nation a honteusement tourné le dos en 1962.
Sur place d'abord, en abandonnant plusieurs centaines de ses fidèles serviteurs à une mort certaine et atroce. Puis en métropole pour ceux parvenus à l'atteindre. Une terre de la « mère Patrie » sur laquelle on les autorisa simplement à survivre.
En aucun cas à vivre dans des conditions décentes, dignes du XXe siècle ! Dans cette série de témoignages concernant la guerre d'Algérie, il était impensable que la parole ne fût pas donnée à l'un de ces hommes vis-à-vis desquels la France a fait montre d'un coupable mépris. Pire : d'une impardonnable scélératesse !
Installé depuis 42 ans en Corse avec son épouse Zahia qui lui a donné 13 enfants (dont 8 nés sur l'île) Abdelkader Tahar nous livre un témoignage fort et très émouvant.
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À quel âge avez-vous rejoint les rangs de l'armée française ?
À 17 ans. En devançant l'appel donc. Après avoir effectué mon temps légal (un peu plus de deux ans) je me suis engagé et c'est dans la cavalerie que j'ai servi la France de 1956 jusqu'en 1962. C'est-à-dire… jusqu'aux accords d'Evian et à notre désarmement.
Pourquoi ce choix de l'armée française ?
Par loyauté envers mon pays. Celui pour lequel mon père s'était battu (et avait été blessé) durant la Seconde Guerre mondiale. Et après lui, mon cousin en Indochine. Par fidélité aussi envers ceux qui avaient été mes sous-officiers et officiers durant mon service militaire.
Tous les appelés du contingent de confession musulmane n'ont pas eu votre forme de délicatesse…
C'est vrai. A commencer par celui qui devint le premier président de la République algérienne : Ben Bella qui avait lui aussi servi la France durant la Seconde Guerre mondiale. Mais si beaucoup ont fait comme lui, c'est parce qu'ils estimaient qu'elle se montrait ingrate envers l'Algérie, donc envers eux.
Le FLN a-t-il essayé de vous rallier à sa cause ?
Comme tous les jeunes de mon âge. Mais je n'ai jamais été tenté de rejoindre ses rangs. Ce que j'ai vu faire par les Fellaghas n'était vraiment pas dans mon tempérament. Mutiler, massacrer des innocents par fanatisme, comment aurais-je pu ?
Comment s'est passé votre rapatriement vers la métropole ?
Avec certains de mes camarades, il était prévu que nous partions fin août 1962. Mais quand nous sommes arrivés au port d'Alger - en provenance des montagnes de la grande Kabylie - nous ne pouvions plus embarquer : il n'y avait plus de place pour nous sur le bateau. Nous avons finalement dû attendre plusieurs mois, retranchés dans une caserne, pour pouvoir quitter le pays.
Votre vie a-t-elle été menacée ?
Personnellement non. Mais nombre de mes camarades n'ont pas eu ma chance et sont morts là-bas. D'autant que nous n'avions plus d'armes et étions donc exposés aux attaques punitives du FLN.
Pourquoi donc n'aviez-vous plus d'armes ?
Elles nous avaient été retirées par nos supérieurs sur ordre du haut commandement. Il ne fallait pas que nous puissions opposer de résistance au FLN ! Et puis je crois aussi que l'État a pensé que moins il y aurait de harkis à rapatrier en métropole, mieux ce serait. Nous étions alors devenus des indésirables, des boulets.
Comment vos supérieurs réagissaient-ils à ces ordres qui équivalaient à vous abandonner, à vous condamner à mort ?
Certains étaient désolés et même effondrés de voir comment la France nous traitait. Mais ils se disaient impuissants. D'autres, par contre, n'ont pas hésité à désobéir à leur hiérarchie pour sauver des harkis. D'autres, enfin, se fichaient bien de nous. La preuve : ils quittaient le camp de nuit, comme des voleurs.
50 ans après, que vous inspire l'issue de cette guerre ?
Pour moi, elle n'a pas été perdue par les militaires mais par les politiques. Sur le terrain, l'armée aurait triomphé du FLN. Mais sans doute la pression des États-Unis et de l'URSS a-t-elle été trop forte sur De Gaulle.
Je pense aussi qu'une solution intermédiaire était possible. On aurait pu couper le pays en deux. Une moitié serait devenue une République indépendante, l'autre serait restée territoire français.
Avez-vous de la haine envers de Gaulle ?
Il est clair qu'il nous a trahis. Nous et les Français d'Algérie. Mais j'en veux aussi à François Mitterrand, Michel Debré ou Pierre Mendès-France…
Quel souvenir gardez-vous de la traversée de la Méditerranée pour rejoindre la métropole ?
L'ambiance était à la désolation. Les gens étaient serrés comme des anchois sur le bateau et les Français d'Algérie étaient partagés entre soulagement de n'avoir pas perdu la vie dans cette guerre, tristesse d'avoir dû tout abandonner sur place et angoisse par rapport à ce qui les attendait.
Une fois arrivés en métropole, qu'a-t-on fait de vous ?
On nous orientait tous vers l'un camp aménagé pour nous. Moi, j'ai été transféré vers celui de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. À l'époque, j'étais célibataire. Ne sachant ni lire ni écrire, j'ai attendu que l'administration effectue pour moi toutes les formalités d'insertion. Un jour, on est venu me dire que j'allais travailler dans une grande entreprise située dans la bourgade de Belin-Beliet, en Gironde. Et c'est là que j'ai appris le métier de braseur (ndlr - soudeur).
Quand et comment êtes-vous arrivé en Corse ?
Après avoir ensuite travaillé dans le bâtiment, c'est en 1970 que j'ai débarqué en Corse avec mon épouse et les cinq enfants que nous avions alors. Nous sommes arrivés ici grâce à deux hommes qui avaient été bien plus que mes supérieurs en Algérie : presque des pères adoptifs.
J'avais une vingtaine d'années quand je les ai connus, et eux étaient des soldats aguerris et des hommes mûrs. Je dois donc beaucoup à l'adjudant-chef Pierre Paldacci (qui vit à Ajaccio) et au regretté capitaine Pierre Luciani.
Comment s'est passée votre intégration en Corse ?
Professionnellement, très bien. J'étais conducteur d'engins et j'ai commencé par travailler à l'aménagement des canaux d'irrigation en Plaine orientale. Mais les conditions de vie qui nous ont été offertes n'étaient pas dignes d'un pays comme la France. Les onze années que nous avons passées au camp de Casamozza ont en effet été très dures.
Expliquez-nous quelles étaient ces conditions de vie…
Nous vivions avec 10 enfants dans trois pièces : deux chambres et une cuisine-salle à manger. La maison n'était pas isolée : des murs de briques brutes et un toit de tôle ondulée. Et pas d'eau chaude ! Or, je n'ai pas besoin de vous dire que l'endroit est très humide du fait que le Golo passe juste dessous. Voici dans quelles conditions il nous a fallu vivre - ou plutôt survivre - de 1970 à 1981, c'est-à-dire jusqu'à la fermeture de ce camp. Notre famille a en effet été la toute dernière à quitter ce lieu.
Durant cette période et au regard de la façon dont la Nation vous était « reconnaissante », n'avez-vous pas eu le regret d'avoir… opté pour l'armée française, et non pour le FLN ?
Non jamais. À 17 ans, j'ai été appelé à faire un choix et je m'y suis tenu. Ma vie n'a pas été facile mais l'aurait-elle été si j'avais choisi l'autre camp ? De plus, je vous le répète : jamais je n'aurais pu rejoindre les rangs d'un FLN dont les méthodes étaient abominables. Quand nous sommes partis, les Fellaghas ont d'ailleurs tout fait pour se venger de nous, en pourchassant nos proches restés là-bas.
Avec le 50e (*2012) anniversaire de la fin de cette guerre et tout le battage médiatique qui accompagne ces commémorations, croyez-vous que la France puisse enfin consentir à vous offrir une vie meilleure ?
Je n'attends plus rien de l'État. Chirac avait pris des engagements, mais globalement ils n'ont pas été tenus. Seuls quelques rares élus locaux ont suivi ses recommandations. Il y a quelques jours des promesses nous ont encore été faites, mais je n'y crois plus. En 2008, un ami (harki et porte-drapeau comme moi) est mort à l'hôpital de Bastia. Comme il n'avait aucune famille, il ne savait que faire de son corps. J'ai alerté le Préfet mais sa dépouille n'a eu droit qu'à la fosse commune. Pour avoir courageusement servi la France, n'avait-il pas mérité mieux ?
Suivez-vous toutes les émissions (débats, documentaires) que les chaînes de télé consacrent en ce moment à la guerre d'Algérie ?
J'en ai regardé certaines mais j'ai regretté. C'est trop d'émotion, trop de souffrances. D'autant que quand je vois comment sont reçus d'anciens membres du FLN, je ne peux qu'être écœuré. On les traite beaucoup mieux que l'ont nous a traités il y a 50 ans !
Malgré tout, vous continuez à assister à toutes les cérémonies commémoratives…
Je le fais pour eux. Pour tous mes frères qui ont donné leur vie pour la France. J'y vais pour qu'à travers le drapeau que je porte, on se souvienne d'eux. Ils n'ont que trop souffert de l'oubli…
Par Jean-Paul Cappuri-02 mai *2012
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