15 Août 2018
Par Ahmed LAGRAA écrivain et ancien diplomate
Moudjahid et fils de moudjahid, natif de la ville de Béchar, Ahmed Lagraâ fut secrétaire particulier du responsable politique de Béchar auquel il a d’ailleurs consacré son premier ouvrage intitulé Si Abdelkamel, Chef de l’OCFLN, l’oublié de Béchar.
Suite à sa réussite au concours d’accès à la section diplomatique, il entama une riche carrière diplomatique qui l'a conduit dans plusieurs pays tels que la Belgique, le Ghana, la France, le Maroc et la Tunisie. Il fut également conseiller juridique de la délégation algérienne à l'élaboration du droit d'asile en 1974, observateur de l'ONU et chef de la délégation algérienne aux élections multiraciales consacrant le démantèlement de l'apartheid en 1994, en Afrique du Sud.
Il achèvera ce long parcours comme ministre plénipotentiaire.
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J'ai voulu à partir de mes traversées militante et consulaire, faire part de mes connaissances et de mon vécu non seulement sur les harkis, mais également sur les sujets «collatéraux» pour être versés dans le coffre du patrimoine historique national.
Ces données peuvent servir demain à l'écriture de l'Histoire ou constituer des éléments appréciables dans le cadre de recherches. Enfin, le but de cette contribution est de tenir informée l'opinion, notamment la jeunesse, de l'autre aspect issu de la gestion administrative tant du côté algérien, mais également du côté français: «Pour ceux qui savent, qu'ils se souviennent, ceux qui ne savent pas, qu'ils apprennent.»
Situation des harkis du côté français
a) Il y a les harkis rapatriés en France par les autorités militaires françaises avant la mise en oeuvre officielle de l'indépendance. Ces harkis accompagnés de leurs familles ont été parqués dans des camps ouverts à la hâte dans le sud de la France comme Angoulême par exemple. Une grande partie d'entre eux n'ont pas été informés de leur droit, notamment de la souscription de la déclaration d'option de la citoyenneté française, (la nationalité française comme le prévoyaient les accords d'Évian), pour «les français- musulmans». En effet, les Algériens étaient des sujets et non des citoyens. Ils avaient trois ans devant eux pour faire ce choix de la nationalité française et respectivement pour les pieds-noirs en ce qui concerne la nationalité algérienne.
La grande majorité d'entre eux n'est pas détentrice, ni d'un document légal français de résidence ni d'un document algérien puisqu'il est formellement interdit aux consulats algériens de gérer cette catégorie. Ils sont sûrement fichés par la police française, (comme ils le sont par celle algérienne), qui, au cours de contrôle de routine, est instruite de ne pas entraver la circulation de ces harkis.
C'est cette catégorie de harkis qui inquiète les pouvoirs publics français de par leur statut juridique bâtard si l'on veut comprendre l'intérêt brusque porté à cette frange de la société française, d'ailleurs en voie d'extinction. Actuellement, ces harkis émettent simplement le vœu d'être enterrés en Algérie. Devant le refus algérien, ils se font inhumer dans les pays voisins du Maghreb.
«Dans un tout autre domaine et pour utilité d'information aux lecteurs de L'Expression, les juifs du Sud n'ont pas bénéficié de la nationalité française en application de la mesure prise à l'égard des juifs d'Algérie par le décret Crémieux, ministre français de la Justice, garde des Sceaux, puisque l'Algérie dans la conception coloniale, le pays était constitué seulement par les trois départements, (Oran, Alger et Constantine), occupés dans le cadre de colonies de peuplement comme les Amériques, l'Afrique du Sud ou la Palestine actuellement. Le Sahara a été sous occupation militaire. Ce fut une revendication territoriale du FLN durant la lutte de Libération nationale. La majorité des juifs du Sahara s'est rendue directement en Palestine, (côté israélien) parce qu'elle ne jouissait pas de la qualité de citoyens français. Ceux qui ont atterri en France, après trois années de tracasseries administratives et de démarches judiciaires, ont enfin pu recouvrer la nationalité française».
Il convient de noter pour utile information historique, que le Sud-Ouest, précisément la Saoura, a été occupée militairement tardivement puisque les Français sont arrivés à Béchar, un lundi 12 novembre 1903, à Adrar, le 31 mars 1934 et à Tindouf, le 31 juillet 1934.
b) Les harkis du Sud
Dans le Sud-Ouest, dans sa partie «Hauts-Plateaux», les harkis ont fait l'objet d'un rapatriement à la suite d'un pont aérien établi entre Mécheria et probablement Melun, (Nord de la France) par le sénateur «français-musulman» dont il avait la charge et surtout la responsabilité d'autant qu'il s'agissait d'éléments de sa propre tribu. Certains d'entre eux, (caïds ou bachaghas) avaient la citoyenneté française par naturalisation donc exclus du champ d'application de la souscription de la déclaration d'option.
D'autres, simples harkis, en majorité illettrés, ne sachant pas la langue de Molière, ont été invités par leur protecteur à souscrire la déclaration d'option. Le protecteur a fait mieux en les casant dans des secteurs comme les chemins de fer à travers la France (Strasbourg par exemple). Ceux, justifiant d'un niveau appréciable de la langue française, ont été nichés dans les administrations des collectivités territoriales dans la région parisienne où leur progéniture a pris la suite du papa retraité. Ceux-là ont été intégrés dans la société française sans le moindre souci, à part la nostalgie du pays, particulièrement de leur région algérienne pour des raisons géographiques, climatiques, sociologiques.
Ils ont terminé le parcours tracé, étudié et examiné minutieusement par leur protecteur à qui ils doivent certainement une reconnaissance éternelle. Plus de 20 ans après, munis de leurs passeports français et d'un visa consulaire algérien, ils se sont rendus en Algérie dans leur douar sans le moindre ennui ou tracasserie notamment ceux qui étaient caïds parce que dans la plupart des cas comme ils aimaient à le souligner: ils partageaient avec les officiers français le méchoui et le couscous, le jour, puis avec les officiers de l'ALN, la nuit.
La famille, qui a émis le désir, a pu enterrer au bled, l'époux harki décédé en France, bien entendu après l'accord préalable du président de l'APC de la commune intéressée. L'autorisation de transfert de corps en Algérie est délivrée par l'autorité consulaire territorialement compétente presque trois décennies après l'indépendance, le protecteur lui-même sera enterré dans son village natal et sa dépouille mortelle rapatriée par avion spécial mis à sa disposition par le gouvernement algérien.
3) enfin, la dernière catégorie concerne les harkis établis en France par leurs propres moyens. Immatriculés depuis fort longtemps auprès des services consulaires algériens, ce harki a eu la malchance d'être déniché au cours de la gestion consulaire, généralement, à la suite du renouvellement du passeport après une consultation inopinée du fichier des harkis (dont sont dotés tous les consulats d'Algérie à l'étranger).
Le document de voyage lui est subitement retiré et interdit de gestion après des décennies de prise en charge administrative. Ce brusque refus de gestion va emmener son auteur devant une situation inextricable: il ne peut se rendre en Algérie alors qu'il a effectué plusieurs voyages par le passé. Il ne peut circuler librement en France après l'expiration de son titre de séjour français car géré et connu par l'administration française comme étant un émigré algérien. Ce sont des cas rares. Maintenant que les services consulaires ont introduit une gestion informatisée, il est possible d'informatiser ce fichier.
Précisons deux points:
a) L'épouse et les enfants de harkis sont gérés par les services consulaires. Ils sont détenteurs de documents administratifs algériens et se rendent en toute liberté en Algérie.
-b) généralement, tous les fils de harkis accomplissent en choisissant le service national en Algérie contrairement aux fils d'authentiques militants qui préfèrent faire le choix des obligations militaires en application de l'accord algéro-français en la matière, dans le cadre de l'Otan en raison du cours séjour militaire et d'autres motifs comme le climat, la difficulté de communication etc... ces fils de harkis préparés, entraînés à la fonction militaire par l'ANP, ont rejoint en majorité les groupes armés islamiques lors de la tragédie qu'a connue le pays. Jusqu'à présent aucune étude sociologique n'a été menée pour comprendre ce choix, (vengeance ou choix dicté par le sang, tel père, tel fils ?)
Situation des collaborateurs militaires algériens du côté algérien dans le Sud-Ouest dans sa partie Sud
Trois sortes de collaboration militaire
1) Les engagés dans l'armée française.
Ils sont de simples militaires, parfois sous officiers rarement officiers. Ils ont participé à des actions militaires dans les djebels contre l'ALN. Ils renseignent l'ALN sur les troupes françaises. Ils émargent auprès de l'Ocfln en paiement d'une cotisation dérisoire. A la demande de l'ALN, ils fournissent des tenues militaires ou divers équipements, des cartes géographiques, des copies de rapports etc... Lorsqu'ils sont dénoncés ou découverts à la suite d'une enquête, (enquêtes menées discrètement, toujours dans le secret le plus absolu), ils rejoignent le maquis ou s'ils sont faits prisonniers, ils sont torturés.
A l'indépendance, ceux, encore sous le drapeau français, ont suivi leur régiment en France lorsqu'il ne restait que quelques années à accomplir pour jouir d'une retraite. Ils ont souscrit à l'option de choix de la nationalité française. Certains sont restés définitivement en France. D'autres sont revenus à la suite de la mise à la retraite. Ils n'ont rien perdu au change, puisque la réforme de 1966 du Code de la nationalité algérienne a ouvert le champ à la binationalité.
Ceux qui résident en Algérie comme ceux en France sont détenteurs en toute légalité de deux passeports, (algérien et français) y compris les enfants qui souvent naviguent dans les hautes sphères de l'Etat, tous secteurs confondus. A noter que ceux qui ont accédé à la naturalisation par acquisition de la citoyenneté française durant la période d'occupation coloniale jouissent des mêmes conditions et «avantages», que cette catégorie citée ci-dessus y compris leur descendance. Ces engagés, dans les rangs de l'armée française ont participé à la Seconde Guerre mondiale, au conflit du Vietnam, (certains ont rejoint l'ALN, en 1956, à leur retour en Algérie), mais également contre la lutte de Libération nationale.
A l'indépendance, ceux ayant refusé de rejoindre le territoire français, admissibles à la retraite, souvent proportionnelle, ont été intégrés à la force locale créée par les accords algéro-français. Parmi ces derniers, certains d'entre eux ont été versés à l'ANP après sa création, ce qui a engendré le mécontentement de djounoud de l'ALN, qui se sont retrouvés sans préparation, sous les ordres de sous-officiers, ex-militaires des forces armées françaises. Après ces mécontentements, les maquisards ont préféré démissionner. Ces engagés ont pu bénéficier d'une pension de retraite de la part de l'armée française, mais également de l'ANP. Pour utile information, ce dernier cas d'espèce a été vécu à Alger.
2) Les moghaznis
Sortes de milices, ils n'ont ni le statut militaire ni celui de civil assimilé. Ils assistent l'administration coloniale dans le maintien de l'ordre. Ils n'ont pas de retraite. Ils sont vacataires et donc peuvent être virés à tout moment. Tous ont émargé au sein de la résistance populaire et ont souvent la qualité de moudjahid. Certaines jeunes recrues ont rejoint le maquis, (l'ALN) avec armes et bagages. Ils étaient parqués dans l'une des casernes située à Kénadza, à 27 km de Béchar, connus par un fait d'armes remarquable. En effet, ils ont à leur actif une action militaire digne d'un film d'aventure. En collaboration avec le Responsable politique de Béchar, chef de l'Ocfln et après accord de l'ALN, tout l'arsenal militaire de la caserne a été vidé et acheminé au maquis par un groupe de moghaznis. Ceux qui restaient ont été jugés par un tribunal militaire, arrêtés, emprisonnés et torturés. Cette catégorie a été dissoute par la suite.
-3) Les harkis au Sud-Ouest, partie du Sud, (Béchar). Ces harkis n'ont pas participé à des actions militaires contre la population civile comme ce fut le cas dans d'autres régions d'Algérie. Ils furent investis par le pouvoir colonial au maintien de l'ordre. Comme les attentats avaient cessé dans les villes depuis 1958, les seules actions militaires furent les accrochages et escarmouches entre militaires, troupes françaises et ALN. La harka a été dissoute bien avant l'indépendance compte tenu de l'absence de résistance armée dans les centres urbains. Aucun harki à ma connaissance n'a quitté la région à la suite de l'indépendance.
Certains ont choisi d'autres cités que celles où ils sont connus, sans changer de région. Leurs enfants ont généralement fait de brillantes études universitaires et sont des cadres dans tous les rouages de l'Etat. Il faut préciser que ces Algériens, illettrés, démunis de ressources, acculés à la sédentarisation après un nomadisme ancestral, n'ont eu d'autres choix que se tourner vers ce «nouveau job» pour nourrir souvent une famille nombreuse. Poussées à réintégrer les villes, ces populations civiles se sont trouvées entre deux feux.
La pression des maquis qui exigeait d'eux la prise en charge, (nourriture, caches d'armes transport etc.) et l'armée française de l'autre qui menait des opérations punitives sachant qu'ils constituaient un arrière repli stratégique pour les maquisards. Leurs garçons n'avaient d'autres choix que de rejoindre le maquis. Lorsqu'ils ne sont pas tombés comme chouhada au champ d'honneur, ils sont moudjahidine.
Enfin, les quelques citadins harkis, ont trouvé le moyen via des alliances, (mariages notamment), pour ne pas être inquiétés, mais également du fait de l'inexistence de reproches avérés.
Conclusion
Il n'existe plus de question harki du côté algérien.
Si une interrogation se pose à l'égard de cette catégorie, elle se situe du côté français. La question (s'il y en a une), demeure et reste exclusivement franco- française. *
13/08/2018
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