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Mohamed Djafour : «Mon père, ce harki qui me rend si fier»

Mohamed Djafour : «Mon père, ce harki qui me rend si fier»

Mohamed Djafour regarde la vue de la Montagne Noire, derrière sa baie vitrée. Le regard est fixe, droit. Aujourd'hui, il est le président de la dynamique Association Génération Harki», basée à Saint-Amans-Soult, qui, comme tant d'autres, demande au gouvernement français la réelle reconnaissance des harkis. Mais ce jour, c'est son histoire, terrible, qu'il accepte de raconter.

Celle de son père kabyle qui a décidé, durant la guerre d'Algérie, de rejoindre l'armée française. Celle de ce gamin qui dès 1962 a vécu l'enfer. Celle de cet adolescent arrivé en France et «installé» avec toute sa famille dans le camp de Bias, durant une décennie. Celle de cet homme qui a rejoint l'armée française avec honneur et fierté durant 17 ans.

Le traumatisme dès l'enfance 

«J'avais 6 ans, 10 mois et 22 jours quand mon père a été arrêté par le FLN, dans notre petit village de Tigounatine, en Kabylie. 6 ans, 10 mois et 22 jours quand mon existence et celle de ma famille ont basculé.»

Son père, qui s'est battu dans les rangs français durant la Seconde Guerre mondiale, qui a accepté tous les risques en Algérie pour le drapeau tricolore, est amené de force sous les yeux de toute sa famille. «Ne t'inquiète pas, je vais revenir», dit-il à son fils Mohamed. Reste que l'absence perdure, le quotidien s'obscurcit.

«Dès que la population s'est aperçue de l'arrestation de mon père, la vie est devenue un enfer.» Le jeune enfant est quotidiennement violenté par les enfants dont les parents étaient pro-FLN.

«J'ai fait plusieurs comas. Mais jamais je ne me suis enfui. Je me battais avec mes moyens, à coups de poing, à coups de pierre.»

Un père en prison

Le pire reste à venir. Mohamed aime l'école, la lecture pour mieux déchiffrer les lettres de son père. «Un jour, l'instit m'a pris de force par l'oreille. Je me rappelle encore de cette violence. Il m'a dit dehors. Tu es un fils de traître, un traître toi-même. Sors de cette école. Je ne veux plus te revoir». Malgré les brimades, l'enfant revient. Mais l'enfer est trop grand. «J'ai dû partir et aller garder les chèvres pour nourrir ma famille». Avec le temps, rien ne s'arrange. Les brimades, les humiliations continuent.

Deux ans se passent avant qu'il ne puisse revoir son père. «Le FLN obligeait toutes les familles de prisonniers à venir les voir sur les bords de routes exécuter des travaux forcés. Mon père était fatigué, battu et tous avaient les lèvres gonflées. Les geôliers les obligeaient à enlever les figues de barbaries (très épineuses) avec la bouche. Je n'oublierai jamais cette image». Le seul point positif, c'est que le père de Mohamed est vivant. «Notre chance, c'est qu'il n'était pas sur ces terribles listes où les harkis étaient lapidés, égorgés ou enterrés vivant».

L'évasion vers la France

Il faut penser à partir, quitter l'Algérie. «Mon père avait parfois le droit à une sortie de 24 heures pour venir nous voir. À sa troisième visite, on a réussi à l'amener au consulat français de Tizi-Ouzou pour qu'il puisse se cacher et rejoindre l'ambassade à Alger. On devait le suivre un peu plus tard. Sa disparition attire le FLN dans notre maison». L'émotion est vive dans les paroles de Mohamed. «Personne de la famille ne dira mot. Même ma sœur de 5 ans, à qui on a proposé des dizaines de bonbons, n'a pas craqué». C'est enfin la délivrance. L'épique voyage à Alger, le bateau, l'arrivée à Marseille en mars 1968.

«Nous n'avions rien. Absolument rien. On a été accueilli par un camion militaire, direction le château Lascour dans le Gard. Là, ils vérifiaient la santé de nos pères pour voir s'ils étaient aptes à travailler dans les régions forestières, dans des camps loin de tout. Mon père était usé par la prison et les coups. Un an après, on nous a amenés à Bias, dans le Lot-et-Garonne». Des baraques, des grillages, des barbelés sont leur quotidien. «Personne ne trouvait de boulot. Il fallait même une autorisation pour que l'on puisse sortir du camp. Car c'était bien un camp fermé pour parquer les harkis».

L'engagement dans l'armée

Dix ans plus tard, Mohamed s'engage dans l'armée. «Malgré le racisme quotidien de certains, j'ai trouvé ma place dans cette magnifique institution qu'est l'armée. Elle ne fait pas de cadeau, mais laisse une chance à tous pour évoluer». L'homme voyage. L'Allemagne, les quatre coins de France. En temps que réserviste, il ira au Kosovo et en Afghanistan.

Puis la vie civile. La réussite dans la restauration rapide, la mort de son père si difficile à accepter. Une vie remplie pour atterrir là, dans le petit village d'Albine, posé au pied de la Montagne Noire. «Je suis bien ici. C'est calme. Je suis bien intégré, vraiment». Une vie d'homme qui pourrait lui apporter une fierté méritée.

«Non. Ma vraie fierté, c'est mon père et ma mère. Des gens droits, honnêtes, respectueux, dignes jusqu'au bout malgré cette terrible trahison qu'ils ont subie par la France, alors que nous sommes tous nés Français. C'est pour cela que je me battrai jusqu'à mon dernier souffle pour eux, pour l'ensemble des harkis».

11/10/2015

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