25 Septembre 2017
ENTRETIEN Alors qu’Emmanuel Macron reçoit lundi 25 septembre des associations à l’occasion de la journée nationale d’hommage aux harkis, l’historienne Sylvie Thénault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la guerre d’Algérie (1), revient sur les enjeux de cette rencontre.
Journée d’hommage aux Harkis le 25 septembre 2016 aux Invalides. / IAN LANGSDON/AFP
La Croix : Emmanuel Macron peut-il « réconcilier les mémoires » de la guerre d’Algérie ?
Sylvie Thénault : C’est en tout cas souhaitable. Avoir une approche globale de cette guerre est la meilleure façon de procéder : reconnaître qu’il y a eu des souffrances de tous côtés et qu’à l’échelle individuelle, toutes les souffrances se valent. Tant que nous restons dans une mémoire partielle de la guerre, nous sommes pris dans un jeu de concurrence, non pas des mémoires mais des courants qui politisent ces mémoires. Il est temps de dépolitiser la mémoire de la guerre d’Algérie en reconnaissant sincèrement les souffrances des victimes et de sortir des bas usages de l’histoire.
D’un côté, ceux qui défendent l’idée de reconnaître et réparer les souffrances des colonisés sont du côté de la gauche, de l’extrême gauche et de l’anticolonialisme. De l’autre, la cause des Harkis fut pendant longtemps utilisée par les nostalgiques de l’Algérie française. Désormais les associations ne font plus ce lien et insistent davantage sur la dureté de la vie dans les camps lorsque les harkis sont arrivés en France, les discriminations et stigmatisations dont leurs enfants ont souffert, à l’instar des enfants d’immigrés. Mais la mémoire des Pieds-Noirs reste, elle, très politisée, notamment là où les enjeux électoraux sont importants pour le Front National comme dans le sud de la France.
Dans ce contexte, l’élection d’Emmanuel Macron représente-elle une chance ?
S.T. : Elle peut représenter une opportunité, pas seulement par son positionnement politique « de droite et de gauche ». Je pense qu’il a aussi appris de la polémique déclenchée par ses propos qualifiant la colonisation de crime de l’humanité. Il s’est trouvé tout de suite pris à partie par les nostalgiques d’une Algérie française qui lui ont reproché d’avoir une approche partielle de la question. Il a aussitôt fait des déclarations dans l’autre sens et a expérimenté le va-et-vient qu’il faut opérer si l’on veut reconnaître les souffrances dans chaque camp et mener une politique la plus équitable possible.
Un autre élément n’est pas négligeable, c’est la génération à laquelle il appartient : il n’a pas connu ces événements, n’a pas été personnellement touché – à ma connaissance – dans son entourage et il est entré en politique à un moment où l’antiracisme avait une forte valeur. Tout cela lui permet d’adopter un positionnement neutre, du moins dégagé des questions : fallait-il que l’Algérie reste française ? Était-il légitime qu’elle devienne indépendante ? Emmanuel Macron est d’une génération où l’indépendance de l’Algérie ne se discute plus. De ce fait, il peut poser des gestes, y compris envers les Français d’Algérie, sans risque politique. Et il a la possibilité de reconnaître la responsabilité de la France, sur le modèle de Jacques Chirac en 1995 à propos de la collaboration.
Quelles sont les difficultés d’une telle approche globale ?
S.T. : La plus grande, c’est de paraître mettre tout sur le même plan. En termes de masse, toutes les souffrances n’ont pas eu la même échelle. La torture et les exécutions sommaires ont concerné des centaines de milliers d’Algériens. Quant aux camps de regroupements, ce sont deux millions d’Algériens qui y ont été placés. La nature des souffrances est aussi à prendre en compte. Ce n’est pas comparable d’avoir été victime de la torture ou d’avoir vu un proche exécuté et de s’être sauvé dans l’urgence pour échapper au massacre puis d’avoir vécu dans un camp des dizaines d’années dans des conditions certes misérables.
Comment prendre en compte l’ensemble des mémoires sans induire l’idée que tout se vaut ? Au-delà de cette difficulté essentielle, une autre donnée échappe à la volonté présidentielle : la mémoire de la guerre d’Algérie est une question bilatérale et de politique internationale qui dépend également de ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Une approche globale de la guerre doit s’accompagner d’un travail diplomatique, afin que les gestes et discours ici ne puissent pas être mal interprétés, voire manipulés, là-bas.
24/09/2017
Béatrice Bouniol
(1) auteur de « Histoire de la guerre d’indépendance algérienne », Édition. Flammarion coll. Champs, 2012 et « Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale », Édition. Odile Jacob, 2012.
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