10 Mars 2018
35 ans qu’Arifa Limane vit dans un logement social de Fleury-les-Aubrais. Et 35 ans que cette femme de Harki se bat pour en devenir propriétaire. Vallogis accepte aujourd’hui, alors qu’elle est trop âgée pour contracter un emprunt bancaire.
La petite maison du 17, rue Rouget-de-Lisle abrite la vie fleuryssoise d’ Arifa Limane et de sa famille, depuis 1983. Quelque part – encore que – le commencement de la vie calme pour la courageuse épouse de Harki, maman de six enfants.
Dont trois filles nées ici, après l’éprouvant rapatriement militaire par bateau de 1962. Algérie derrière. Pour toujours. « On a dû tout abandonner, nous n’avions plus rien. On n’était plus rien, et menacés de mort, car considérés comme des traîtres. Mon mari s’est battu pour le drapeau français, là-bas », rappelle la septuagénaire, au milieu de la modeste maison devenue son combat intime.
Ses lettres aux présidents de la République...
Salle à manger. Face à elle, des dizaines de courriers, souvent jaunis par les ans. Beaucoup sont adressés au bailleur social lui louant le toit depuis 35 ans. Bâtir Centre est entre-temps devenu Vallogis (lire ci-dessous).
Le temps d’écrire aussi aux présidents Sarkozy, Hollande... Aux feus et actuels hommes politiques du Loiret (Jean-Paul Charié, Serge Grouard…) et aux associations de défense des Harkis aussi. Lettres mortes.
La dernière « était pour Brigitte Macron », confie Arifa Limane, qui se souvient. « Depuis notre entrée dans la maison, je demande à l’acheter. En 1983, c’était un vrai poulailler ici. On a tout refait dedans, carrelages, cuisine, salle de bain, isolation… On y a investi des milliers d’euros. »
C’était avant 2015, et ce courrier de Vallogis l’informant qu’elle peut finalement acquérir, pour 153.000 euros, le petit pavillon du milieu de ce lotissement de Fleury.
"Mes filles y ont grandi, mon époux Mohamed y est mort en 1987. Je ne saurais vous dire sa valeur sentimentale à mes yeux." ARIFA LIMANE
« Mais comment je fais pour l’acheter à 75 ans ? Une banque acceptera-t-elle de me prêter l’argent ? » Impossible, ne sait que trop bien Arifa, arrivée dans le Loiret en 1964, après avoir notamment connu les barbelés et les tentes militaires du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), « où on nous a parqués à notre arrivée en France. Après l’exil, la misère, la faim et le froid, je n’ai toujours demandé qu’une chose, pouvoir devenir propriétaire de ma maison. »
Nuit de l’évacuation
Un insoutenable désir sans doute aussi né en cette traumatique nuit de 1962. L’État français évacue alors, sans s’annoncer, les Limane de leur habitation. Et de ce petit village posé de l’autre côté de la Méditerranée. « Je ne fais pas l’aumône, mais demande aujourd’hui à l’État de m’aider à financer l’achat de ma maison. Je demande réparation, quelque part, pour tout ce que nous, Harkis, avons dû endurer. Dois-je évoquer mon mari blessé de guerre en Indochine ? Je ne suis pas arrivée ici clandestinement, et c’est bien marqué “Française” sur ma carte d’identité. »
Deux de ses filles rejoignent à présent Arifa autour de la table. La maman évoque sa carrière, débutée en 1968. « Je faisais des ménages pour la préfecture du Loiret, j’ai ensuite été affectée au standard, à l’accueil, et je dépannais le tribunal d’Orléans comme traductrice. J’ai travaillé toute ma vie. Mon mari a longtemps été sur les chantiers de La Source, quand ça n’était encore qu’une forêt, et mes filles ont reçu une bonne éducation. Elles n’ont jamais pointé au chômage non plus », tient-elle à préciser.
« Je refuse que mes enfants l’achètent pour moi ! »
Ce qu’elle sous-entend est que les Limane n’ont jamais rien demandé à quiconque. Labeur et courage. Les photos d’Arifa aux murs traduisent cette fierté de l’intégration. Sur celle-ci, un préfet la décore. « M’aider à acquérir la maison serait à mes yeux une reconnaissance des souffrances endurées. Je refuse que mes enfants, qui pourraient pourtant le faire, l’achètent pour moi. Ils ont leur vie, c’est à moi de leur laisser du bien. »
David Creff
10/03/2018
*******