1 Août 2020
Le brigadier-chef Amar Benmohamed, mardi dans les locaux de Libération. Photo Roberto Frankenberg pour Libération
Entré dans la police en 1997, celui qui est désormais brigadier-chef a vu arriver après 2015 une jeune génération très marquée à l’extrême droite.
Sa carrure est impressionnante, tout comme sa détermination à ne plus « fermer sa gueule ». Depuis lundi, Amar Benmohamed enchaîne les prises de parole médiatiques et les passages télé. En trois jours, son visage est devenu celui d’un lanceur d’alerte qui dénonce de graves dysfonctionnements au cœur du dépôt du tribunal de grande instance de Paris, là où transitent les personnes arrêtées dans l’attente de leur présentation à un magistrat, ou qui s’apprêtent à être jugées. Son témoignage, ainsi que plusieurs documents révélés par le site Streetpress, mettent en lumière des faits qui se dérouleraient au moins depuis 2017, dans les sous-sols des deux palais de justice parisiens.
Dans un rapport de mars 2019 consulté par Libération, le brigadier-chef déroule contre plusieurs agents des accusations de racisme et de maltraitance. Les auteurs ne sont pas directement sous son autorité, mais il les côtoie quotidiennement. Il reproche par exemple à une policière de tenir « des propos racistes à l’adresse des déférés d’origine étrangère ». Une situation que personne ou presque ne pouvait selon lui ignorer. Benmohamed tacle aussi le comportement d’un groupe de policiers qui qualifient tous les détenus de « bâtards ». Les déférés qui « avaient le "malheur" d’entrer dans la joute verbale et de répondre sur le même ton se voyaient parfois […] privés de nourriture durant plusieurs heures, voire pendant la nuit entière ». Il y a aussi la privation d’accès au médecin via de fausses mentions sur les procès-verbaux. « Ma loyauté envers […] l’institution m’a toujours animé, mais après de longs mois sans avancées, force est de constater que je suis le seul à mon niveau à prendre la mesure de l’anormalité et de l’inacceptabilité de cette situation, il est donc urgent qu’une autorité administrative et /ou judiciaire se saisisse du dossier », écrit Amar Benmohamed en conclusion. Un an et demi plus tard, les policiers concernés ont été mutés, « mais presque rien n’a changé au dépôt », observe-t-il. Avant qu’il ne parle à visage découvert, en tout cas, la justice n’avait pas été saisie.
« Ecœuré »
Assis en terrasse, blouson en toile sur le dos, Amar Benmohamed évoque d’une voix douce les souvenirs d’une carrière passée à travailler la nuit. Selon lui, plus d’un millier de détenus ont été maltraités par ces jeunes recrues déterminées à s’engager après les attentats de 2015. Des jeunes policiers originaires de province, qui « n’avaient jamais vu un Arabe ou un Noir », et adeptes de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral. « Un idéologue facile à comprendre, pas complexe. Ça leur suffit », explique Amar Benmohamed. Le brigadier-chef pointe aussi un manque criant de formation, à une époque où la police est en quête importante d’effectifs. « Avant, certains mecs qui avaient bac + 2 n’étaient pas retenus. Ces dernières années, ils ont pris tout le monde, remarque-t-il. La formation d’un gardien de la paix se fait sur douze mois, dont quatre consacrés aux stages. Ces recrues n’ont fait que six mois, puis ont été déployées dès juin 2016 pour la sécurisation de l’Euro de football [organisé en France, ndlr].» En septembre, les agents qu’il dénonce ont été mutés en Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois ou Bobigny. Des endroits qu’ils appellent « le safari ».
Né en 1972, c’est dans ce département qu’Amar Benmohamed a grandi. Son père était lui-même policier, comme son grand frère : « Du coup, j’ai appris le mot "bougnoule" avant le reste du vocabulaire. » Son père, harki, quitte la police en 1979, « écœuré » après un dernier poste au sein du commissariat du VIIIe arrondissement de Paris. Amar Benmohamed raconte qu’il assiste alors à des « ratonnades » dans les cellules de garde à vue, visant principalement « les Noirs, les Arabes et les sans-papiers ». Son père quitte la France pour le Maroc. Lui reste avec sa mère et son frère, passe son « Bac B » (sciences sociales), et rêve d’être diplomate en Asie. Pendant ses études en langues orientales, il travaille dans la sécurité privée et débarque chez Coyote, la boîte de production de Christophe Dechavanne. En 1997, il s’engage finalement comme policier auxiliaire, poussé par un ancien collègue de son père. Ce qui lui permet d’échapper au service militaire.
Ilotage
Il est alors affecté dans le XIVe arrondissement de Paris, au sein d’«une équipe jeune et dynamique, où il n’y avait pas de racisme», se remémore-t-il. Son unité est chargée de ce qu’on appelait à l’époque l’îlotage : une présence sur le terrain, éloignée de l’approche sécuritaire et au contact de la population. Benmohamed vante le rôle social de cette forme de police, qui a pratiquement disparu au cours des années Sarkozy. Une expérience le convainc de s’engager définitivement dans la police. Après l’école, il est affecté à 28 ans au sein de la compagnie du périphérique parisien. Et atterrit une première fois au dépôt, en mai 2006. Il y restera quatre ans, avant de passer par l’état-major circulation nuit de l’Ile-de-France. Depuis 2016, il est de retour au dépôt, comme chef de l’Unité des Transfèrements Nuit (UTN).
Divorcé depuis mai et sans enfant, ce taoïste convaincu martèle : «La police est composée de gens bien. C’est une minorité qui a été couverte par la hiérarchie.» Depuis qu’il a choisi de dénoncer, il dit être victime de harcèlement en interne, et a porté plainte. «On me reproche des choses fausses. Ils sont dans la surenchère. Et le préfet Lallement veut ma tête.» En arrêt maladie depuis fin juin, Amar Benmohamed, également délégué syndical, se dit prêt à reprendre son poste au sein de son unité : «J’espère pouvoir garder mon boulot car je n’ai rien fait de mal, juste mon travail.»
29/07/2020
C'est un témoignage exceptionnel que livre le brigadier-chef Amar Benmohamed à la caméra de StreetPress. Insultes racistes, privation de nourriture, de soins, il révèle, documents à l'appui, des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris.
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