3 Décembre 2013
«Beni Ilmane chouhada !» Lundi et mardi derniers, des centaines d’habitants de 13 à 87 ans, de ce village près de M’sila, ont manifesté pour être «réhabilités dans leur dignité». Que l’histoire «soit réécrite» et qu’on cesse de les qualifier de «harkis».
«Notre pays est indépendant depuis 51 ans. Depuis 56 ans, nous continuons à souffrir. Nous avons supporté trop de choses. Laissez-nous mourir en paix !» Si Saïd Guefaf, 87 ans, les yeux larmoyants et les mains tremblantes de rage, est descendu dans la rue lundi et mardi derniers. Comme des centaines d’habitants de Beni Ilmane. Pris entre trois wilayas, Bouira, Bordj Bou Arréridj et M’sila, Beni Ilmane (daïra de Sidi Aïssa, à 30 km à l’est de Hammam Dalaâ et 70 km au nord de M’sila) compte aujourd’hui seulement 9000 habitants. «Pour atteindre ce chiffre, il a fallu attendre des années de régénération car le village a été rasé et seuls quelques rescapés avaient pu fuir le drame», raconte le président de l’APC de Beni Ilmane, Ali Djadja.
Le drame du 28 mai 1957, l’histoire s’en souvient comme l’«affaire Melouza». De la haine et beaucoup de larmes.
Cette date a transformé la vie modeste que menaient les habitants de Beni Ilmane en un cauchemar qui continue de pourrir la vie des jeunes et les souvenirs des plus âgés. Les lycéens ont occupé la RN60 en criant «Beni Ilmane Chouhada !» Les élèves du CEM Saïd El Ouarthilani n’ont pas tardé à les rejoindre. La Nationale a été prise d’assaut par les habitants venus exprimer leur indignation. L’APC a été fermée. Les propriétaires des magasins, cafétérias et restaurants se sont solidarisés avec le mouvement et ont baissé rideau pendant deux jours consécutifs. En quelques minutes, Beni Ilmane est devenue ville morte. «Même nos enseignants nous traitent souvent de fils de harki, comme notre professeur de sciences islamiques», déclarent Riadh Kourikeb et Benamara Aïssa, 15 ans, élèves en deuxième année moyenne au CEM Chikhi Boubakeur. «Je ne veux pas grandir avec ce surnom», ajoute leur camarade Fateh Saâï, 13 ans.
Harki
Les lycéens ont le même sentiment, celui d’être marginalisés et méprisés. «Nous continuons à ressentir ce que nos parents ont vécu. Nous voulons des excuses car nos grands-parents étaient des victimes», déclare Ramzi Belatrache, en deuxième année au lycée Beni Ilmane. Son camarade Riadh Toumi ajoute : «Nous sommes touchés dans notre âme et notre conscience ; il est inadmissible de continuer à vivre ainsi. Qu’avons-nous fait pour mériter ce mépris ?» Il y a quelques années, les autorités ont été contraintes de construire un nouveau lycée dans la commune de Beni Ilmane dans le but d’éluder les bagarres répétitives dans l’ancien, El Mekmen, situé entre la commune voisine de Ouanougha et Beni Ilmane. Les mêmes scènes sont reproduites dans l’enceinte de l’université de M’sila, comme le racontent des étudiants. «A l’université de M’sila, où j’ai suivi deux années d’études avant d’aller sur Alger, on vivait ces conflits tous les jours. Dès que vous aviez un petit souci avec quelqu’un, il vous traitait de harki», se souvient Mounir Zerig, 27 ans, journaliste au chômage. Un autre universitaire, Souhaïb Saâï, 21 ans, étudiant dans la même université, témoigne aussi : «Nous voulons être rétablis dans notre histoire, notre dignité, celle de nos parents et de nos grands-parents. Quant nous allions jouer au football dans les régions voisines, on nous traitait de la même façon. A Ouled Mansour, les supporters ont brandi le drapeau français juste à côté de nos gradins ! Laissez-nous tranquilles. Nous sommes fatigués. Nous sommes Algériens et fiers de l’être. Basta.»
Souvenirs
Beni Ilmane est une région qui a connu, elle aussi, ses batailles et des maquis de résistance contre l’occupation française. «Notre région a connu sa première bataille en 1871 à Djebel Kheradj contre l’occupant français. Et une deuxième le 22 mai 1956. Nous avons perdu 47 martyrs et occasionné des dégâts matériels considérables et des pertes humaines aux Français. Seuls trois moudjahidine ont survécu. Nous avons aussi sept martyrs de la guerre de Libération enterrés au carré qui leur est consacré dans le cimetière de M’sila», raconte Mouloud Benzia, 87 ans, témoin de guerre. Les rescapés du massacre ont des souvenirs à revendre. Mohamed Khedra, 82 ans, kachabia marron et chèche blanc, raconte : «L’ALN avait traqué Bellounis et son armée depuis le nord. Dans sa fuite et sa traversée au sud, Bellounis était passé par la Casbah. Ce sont des Algériens, tout comme nous, qui combattaient la France. Ils étaient tous armés jusqu’aux dents. Que voulez-vous que nous fassions ? Nous étions obligés de les nourrir par devoir et par peur aussi, car nous étions de simples fellahs sans arme et sans défense.» Le vieil homme est bouleversé par ses souvenirs : «Ils devraient être fiers de nous.
Notre village n’a ni harki ni caïd car la France n’a jamais pu mettre les pieds à la Casbah où nous habitions auparavant !» «C’est un mensonge. Nous ne sommes pas ce qu’ils décrivent. Nous avons accueilli la guerre d’indépendance à bras ouverts et nous avons contribué comme nous pouvions», raconte Si Fodhil Ouaâziz, 79 ans, rescapé du massacre, avant que Mouloud Benziya ne lui coupe la parole : «Qu’ils nous jugent s’ils veulent et qu’on en finisse avec cette histoire.» Pour Ali Djadja, le président de l’APC de Beni Ilmane, cette vague de désinformation sur l’histoire de la région mériterait une intervention directe de hauts responsables de l’Etat pour y mettre un terme. «Nous appelons le président de la République et le ministre des Moudjahidine à prendre une décision courageuse afin d’ouvrir un débat sérieux sur l’histoire du massacre de Beni Ilmane. La solution viendra peut-être via l’organisation d’un colloque ou d’une rencontre nationale autour de faits historiques en présence d’historiens, chercheurs, moudjahidine, témoins et rescapés du massacre et ce, afin de rétablir la vérité et rien que la vérité. Notre pays a besoin de nous tous, unis.»
Massacre
De jeunes intellectuels de la région ont mené des recherches sur l’histoire contemporaine et ancestrale de leur région natale, notamment la Casbah. L’Association des amis de la Casbah pour la culture et le patrimoine et une bibliothèque ont été créées à son nom. Cette dernière compte des archives riches de plus de centaines d’années. Comme une fleur rare qu’on ne trouve que sur le sommet des montagnes, la Casbah est aujourd’hui en ruine. Elle ne garde entières que la mosquée Al Aâdam et l’école coranique El Seddikia. Le reste n’est que murs détruits et tombes.
Les tombes des 375 Algériens assassinés durant le massacre. Tous ont été enterrés dans les maisons de la Casbah, dans sa mosquée et son école coranique. Après, les rescapés ont décidé de ne plus y revenir.
«1800 personnes habitaient la Casbah en 1840. Cette région de M’sila est riche en patrimoine historique, notamment la Casbah, fondée il y a onze siècles par Ilmane Ben Mohamed El Idrissi El Charif, venu de Fès après la chute d’El Idrissia.
Il construit les premières maisons, fonde la première mosquée (El Aâdam) et ouvre l’école coranique El Seddikia. Cette région millénaire a connu la présence de plusieurs grands oulémas du nord de l’Afrique», raconte Hadj Ben Triaâ, enseignant au lycée, président de l’association des amis de la Casbah pour la culture te le patrimoine et auteur du livre, De Père en fils… Beni Ilmane, entre gloire et savoir. Makhlouf El Ameri, un des animateurs du mouvement d’indignation, insiste, les larmes aux yeux : «Quelqu’un a voulu savoir qui est mon père et je lui ai répondu : l’emblème national. Ma mère ? L’Algérie. Et ma région, Beni Ilmane. J’aime profondément mon pays et je suis fier de lui appartenir. Mais ce mot de harki me détruit et me fait douter même dans mon amour et mon appartenance à ma chère patrie.»
29/11/2013
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l'Association Départementale Harkis Dordogne Veuves et Orphelins , et le site http://www.harkisdordogne.com/ Périgueux