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Kader : « J’évite de dire que je suis fils de harki »

Kader est né en Bourgogne en 1965. Son père était harki. Aujourd’hui encore, il peut difficilement afficher cet épisode de l’histoire familiale.     

    «Après avoir servi dans l’armée française, dans le sud de l’Algérie, mon père a été rapatrié en France en 1962, sans doute grâce à un officier qui avait désobéi aux ordres. Il est arrivé dans le même bateau que des pieds noirs, mais au niveau inférieur, puisque les harkis étaient encore considérés comme des indigènes.

 Il a ensuite passé quelques mois dans des camps, dans le Larzac et à Rivesaltes, sous des tentes, parfois dans un froid terrible, avec des barbelés et des militaires pour les surveiller. Puis il est arrivé en 1963 à L’Oasis, un lotissement de Saint-Valérien, dans l’Yonne, où une trentaine de harkis était regroupée. C’est là que je suis né, en 1965. »

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Certains harkis ont pu être rapatriés en France grâce à des officiers français qui ont désobéi Photo archives SDR 

« Les claques du directeur »  

Quand Kader déroule la pelote de son histoire familiale, le fil s’emmêle régulièrement. Il passe une dizaine d’années à L’Oasis. Ses souvenirs d’enfance sont heureux, mais déjà gâchés par le racisme : « Je me souviens encore des claques que j’ai reçues du directeur de l’école. Quand un Patrick ou un Michel ne comprenaient pas un problème, la punition était beaucoup plus douce… » Sa scolarité est chaotique, tiraillé entre un père musulman pratiquant et l’école de la République française.

Il mise alors beaucoup sur son service militaire, à Lure puis au 35e Régiment d’infanterie de Belfort. « Je voulais notamment passer mon permis poids lourd, pour trouver un emploi ensuite. Mais malgré tous mes efforts, mon supérieur ne me l’a jamais autorisé. De toute la promo, j’ai été le seul à essuyer ce refus… » Quelques années plus tard, il décroche enfin ce sésame, grâce au volontarisme du Préfet de l’Yonne, sollicité par une association d’anciens harkis, car plusieurs d’entre eux se sont finalement installés à Sens.

Aujourd’hui, Kader est toujours chauffeur-livreur. Il vit dans une petite maison du Grand Dijon, avec sa femme, française, et ses deux jeunes enfants. Il est retourné plusieurs fois en Algérie.

« Vous n’avez plus rien à faire ici »

La première fois, c’était en 1982, en famille. Mais son père n’a pas pu aller plus loin que le port d’Alger. « Les douaniers l’ont renvoyé en France avec des mots terribles : “vous avez porté l’uniforme français, vous n’avez plus rien à faire ici.” Je n’avais jamais rien entendu de plus humiliant. »

  Depuis, l’ancien soldat français a pu retourner sur sa terre natale. En catimini et en évitant soigneusement de parler de son passé. Aujourd’hui, il vit toujours à Sens. Il a 88 ans. Il a été longtemps manœuvre en usine, mais il bénéficie aussi d’une pension d’invalidité depuis ce jour de 1961, où un indépendantiste a voulu le poignarder dans les rues d’Alger. Dès que la discussion rôde autour des harkis, le vieil homme élude.  

« Pour mon père, c’était la valise ou le cercueil »

Cette part d’histoire, c’est aussi un bout d’identité qui manque à Kader : « Aujourd’hui encore, j’évite de dire que je suis fils de harki. Je n’en ai pas honte, mais les idées reçues persistent. Beaucoup d’immigrés continuent de les voir comme des traîtres. Moi, je ne suis pas immigré, je suis rapatrié, c’est complètement différent. Pour mon père, c’était la valise ou le cercueil. Mes enfants portent des prénoms français. Je suis Français. Ma culture, c’est la langue de Voltaire et le son de la cloche le dimanche matin. Quand je suis en Algérie, je me sens étranger. La reconnaissance des harkis, c’est la moindre des choses que l’état français leur doit. »

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 En Côte-d’Or les harkis étaient regroupés dans des baraquements comme ici à Veuvey-sur-Ouche. Photo archives SDR

02/06/2013

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