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La France face aux Harkis : après la reconnaissance,la réparation ? de Mohand Hamoumou

FIGAROVOX/TRIBUNE - Mohand Hamoumou commente le rapport remis au Ministère de la Défense visant à réparer le préjudice commis à l'encontre des Harkis. Il regrette néanmoins que les mesures proposées demeurent insuffisantes.

Mohand Hamoumou est docteur en sociologie (EHESS), diplômé de l'Essec et professeur à Grenoble Ecole de Management où il enseigne la sociologie et la gestion des ressources humaines.

Il est notamment l'auteur de Et ils sont devenus harkis (édition. Fayard, 1993). Il est également maire de Volvic depuis 2008.

FIGAROVOX.- Une commission animée par le Préfet Ceaux vient de remettre un rapport à la Secrétaire d'Etat à la Défense intitulé «Aux harkis, la France reconnaissante» avec 56 propositions pour «parachever» la reconnaissance due aux harkis. Mais les mots suffiront-ils à cicatriser les maux?

 

Mohand Hamoumou.- Depuis l'arrivée en métropole des premiers harkis en juin 1962 les rapports n'ont pas manqué avec, régulièrement, des mesures visant à favoriser leur insertion. Force est de constater qu'il s'agissait le plus souvent de mesures sociales s'inscrivant dans une logique de solidarité et non de reconnaissance et de réparation. Il est vrai qu'une réparation digne de ce nom suppose au préalable la reconnaissance d'une faute et l'évaluation des préjudices.

 

Longtemps, isolés dans des camps ou des cités ghettos, tentant de se «réimplanter» après le traumatisme vécu et un accueil indigne, les harkis se sont tus et les Français ne les ont pas vus. Leur histoire est refoulée au fond de leur mémoire dans un silence digne. Les gouvernants, eux, veulent oublier un abandon honteux car criminel.

 

Cette chape de plomb se fissure une première fois en 1974 avec une grève de la faim à l'église de la Madeleine, par M'hamed Laradji, puis en 1975 par la révolte au camp de Bias. Les Français découvrent, abasourdis, l'existence de «réserves d'Indiens», de zones de non droit. Depuis, épisodiquement, une prise d'otage, un barrage sur autoroute , une grève de la faim comme celles d'Abdelkrim Klech , un procès ou le rapport d'une commission rappellent un instant la persistance du dossier harki. Puis l'oubli à nouveau. Parce que ni l'État algérien, ni l'État français n'ont intérêt à rappeler les massacres de «harkis» après le «cessez-le-feu»: l'un pour les avoir commis, l'autre pour les avoir permis.

 

Aussi, il aura fallu près de 40 ans pour qu'un président de la République française, Jacques Chirac, reconnaisse enfin publiquement dans la cour des Invalides que «la France n'a pas su sauver» ses enfants de la «barbarie». Il eut été plus juste de dire que la France gaullienne n'a pas voulu. Ce n'était qu'un petit pas vers la vérité mais un grand pas pour l'honneur de ce pays.

 

Le style précautionneux du rapport trahit la crainte de gêner les gouvernants d'hier et d'aujourd'hui.

 

Depuis chaque Président de la République a apporté sa pierre au travail de vérité, souvent à la veille d'élections.

Ainsi le 14 avril 2012 à Perpignan, Nicolas Sarkozy à nouveau candidat, évoquant les télégrammes du 12 mai 1962 de Pierre Messmer et Louis Joxe, indiquait que ces derniers marquaient «sans aucune contestation possible la responsabilité du gouvernement français dans l'abandon d'une partie des harkis».

 

Le 25 septembre 2016, à quelques mois de la fin de son mandat, le Président Hollande déclare «au nom de la France»: «Je reconnais les responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des Harkis, des massacres de ceux restés en Algérie, et des conditions d'accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France. Telle est la position de la France.»

 

La demande du Président Macron s'inscrit dans cette logique et ce rapport a le mérite d'être une base de réflexion. L'honnêteté commande cependant de dire qu'il n'est pas à la hauteur de l'enjeu et qu'il ne pouvait l'être compte tenu de la composition de la commission. Ce rapport de 180 pages se divise en 2 parties: la première tente une synthèse de l'histoire des harkis pour faire comprendre qui étaient les Harkis, rappeler leur abandon en 1962 et l'accueil indigne de ceux qui purent trouver refuge en métropole.

Cette partie permet de faire le lien avec la demande de reconnaissance et de réparation, même si le style précautionneux trahit la crainte de gêner les gouvernants d'hier et d'aujourd'hui. Par exemple, il est écrit que «la reconnaissance des massacres pourrait poser de sérieuses difficultés diplomatiques avec l'Algérie».

Ou encore, s'agissant de «l'abandon» des Harkis en 1962, le rapport s'interroge sur la pertinence du terme car «Il est plus que délicat, même près de soixante ans après, de porter un regard réprobateur sur les décisions politiques - et il peut même y avoir quelque facilité à cela - qui ont été prises et assumées par ceux qui avaient alors l'immense charge de maîtriser, autant que faire se pouvait, toutes les conséquences de la guerre et de l'indépendance algériennes».

 

Suivent 56 propositions qu'on peut classer en 4 catégories:

 

1. Une douzaine de propositions visant à faciliter la connaissance de cette histoire via divers canaux de communication (Films, expositions, interventions dans les collèges, publications, etc.) Bien que pouvant apparaître peu originales, ces propositions n'ont pas reçu jusque-là les moyens d'être sérieusement mises en œuvre. Leur rappel reste donc nécessaire pour favoriser la connaissance de l'histoire, à condition cependant de faire œuvre de vérité sur toutes les pages sombres sans tomber dans une autoflagellation masquant des aspects positifs.

 

2. Une vingtaine de mesures de gestion, de l'ONAC et de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, qu'on peut résumer à un appel à plus de moyens pour ces organismes et au souhait de voir des enfants de harkis participer à leur fonctionnement.

 

3. Une quinzaine de propositions plus politiques et utiles (comme une représentation nationale légitime de cette population à l'instar du CRIF) ou l'obligation d'enseigner la guerre d'Algérie au collège, ou la libre circulation entre la France et l'Algérie. On citera aussi la proposition de mettre en valeur, au service de la République, à tous les niveaux, des personnalités compétentes, qui, en illustrant le mérite républicain, serviront d'exemples. Cette idée, souvent reprise dans des discours de veille d'élections a rarement été suivie d'effets. De même vouloir sanctionner tout propos insultant comme ceux de Georges Frêche, que le PS tarda à condamner, est nécessaire même si la proposition ne va pas assez loin.

 

4. Et enfin quelques mesures sociales «de solidarité» à l'égard des anciens et de leurs veuves (revalorisation de la rente viagère de 400 euros par an, et en direction des enfants: aide au rachat de quelques trimestres de cotisation retraite pour les carrières courtes et la création d'emplois réservés dans une logique de discrimination positive.

 

Il faut créer une commission d'évaluation des préjudices matériels et moraux pour les harkis, comme pour les Pieds Noirs.

 

En revanche, il n'y a rien sur la méthode pour évaluer les préjudices matériels et moraux ni sur la perspective d'une vraie et juste réparation. Le principe de plaisir semble s'être heurté brutalement au principe de réalité. Les harkis pensaient justice et droit quand l'État raisonnait contraintes budgétaires et action sociale.

 

Bien sûr, aucune réparation ne rendra vie à tous les harkis abandonnés et tués, souvent après d'horribles tortures, ni n'effacera des années d'enfermement dans des camps insalubres et coupés du monde. Aucune réparation financière ne remplacera pour leurs parents, les nourrissons morts dans le camp de Rivesaltes (près de 130 en quelques mois) ou de Bourg-Lastic en raison du froid et des conditions d'hygiène déplorables. Mais on indemnise bien, par exemple, des victimes d'accidents ou des personnes condamnées et emprisonnées à tort. Il faut donc créer une commission d'évaluation des préjudices matériels pour les harkis, comme pour les Pieds Noirs, dont beaucoup n'ont toujours pas été indemnisés décemment de leurs biens spoliés ou abandonnés. Et évaluer aussi les préjudices moraux pour les veuves, pour les enfants qui ont dû grandir dans les camps et donc sans égalité des chances de réussir.

 

Heureusement ce rapport n'est qu'un rapport. Il ne lie pas le Président qui l'a commandé. Il lui appartient de retenir certaines propositions intéressantes et d'en modifier d'autres en fonction de sa vision. Il peut aussi créer une vraie commission d'évaluation des préjudices. Ce serait là un autre pas courageux et humain vers la vérité et la justice.

26/09/2018

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L
Dans votre article vous relatez des épisodes marquants de la vie des harkis et leurs familles et la position de différents Présidents de la République à ce sujet. Vous dites aussi que le rapport du Préfet Ceaux a le mérite d’être une base de réflexion !? Doutez-vous que ce rapport, rejetant les deux seules propositions sensées remises par des membres du groupe de travail,(oui, certains membres de ce groupe se sont battus avec force et honnêteté contrés par d’autres acquis aux représentants de l’Etat), soit l’émanation écrite de la pensée de M. le Président Macron ? Le préfet Ceaux lui-même devant le tollé général dans la salle après en avoir fait la lecture a affirmé : « C’est ma feuille de route, le Président de la République est informé des trois propositions et des marges de manœuvre budgétaire ». Que le Député Damaisin a rajouté : « l’attente des harkis est exagérée, les harkis que je reçois dans ma permanences ne veulent rien et disent tout devoir à la France ». Que cela plaise ou pas, cette commission a été obtenue par un certain Président d’association à la suite de sa grève de la faim. On a parfois le sentiment que certains se pensant plus légitimes que les autres, eu égard à leur parcours et leurs diplômes, commettent des analyses distanciées, lapidaires, souvent accompagnées d’un brin de condescendance. Cultivent-ils l’illusion récurrente et narcissique qu’avec eux tout se serait bien déroulé ? Pourquoi donc ces pseudo élites (ont-elles fait l’E.N.A.? Sont-elles Majors de Sciences-Po ?) n’ont-elles pas depuis tant d’années saisi la Cour de justice de l'Union européenne, fortes de leurs savoirs et maîtrisant les arcanes du droit ? Ne serait-il pas plus judicieux et porteur d’associer nos forces : celles de ceux qui ont été écartés, maintenus loin de l’ascenseur social et sont parfois cependant de bons stratèges mû par l’intuition et une intelligence issue de l’expérience de terrain et celles de ceux qui instruits, savent élaborer des raisonnements complexes, rédiger, hiérarchiser et exprimer la pensée. « N’ayant pas la force d’agir, ils dissertent» Jean Jaurès Dissertons et agissons !
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M
Bonjour<br /> <br /> Votre analyse ne manque pas de bon sens .
R
Dans cet article M. Hamoumou candidat malheureux des dernières élections législatives sous l'étiquette du mouvement En Marche ménage bien le chef suprême de ce parti dont concernant le rapport de la commission de M. Ceaux. En effet, il nous dit : "Il ne lie pas le Président qui l'a commandé". Ben voyons! <br /> Ensuite, celui qui avait créé AJIR (avec d'autres acteurs associations qui l'avaient devancé dans la lutte associative en faveur de la communauté des rapatriés musulmans) s'en prend de manière à peine voilée aux représentants des associations de Harkis membres de la commission. Critiquant le rapport il écrit à ce sujet : "qu'il n'est pas à la hauteur de l'enjeu et qu'il ne pouvait l'être compte tenu de la composition de la commission.". La fameuse composition dont il aurait apparemment bien voulu être membre et avec lui on aurait ce qu'on aurait vu. Il n'a pas compris mesquine que quelle qu'aurait été cette composition on aurait obtenu le résultat selon les moyens dont disposait M. Ceaux c'est à dire pas grand chose.<br /> Enfin, pour terminer une petite rectification historique quand M. Hamoumou écrit : " l'arrivée en métropole des premiers harkis en juin 1962". Non, c'est le 18 mai 1962 qu'eut lieu l'arrivée des premiers Harkis avec le Bachaga Boualam à Mas Thibert, près d'Arles en Camargue, sauvés directement par l'armée.
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H
On peut toujours mesurer la pertinence des propos de Mohand Hammoumou on se demande toujours comme d'autres personnalités compétentes n'ont pas été sollicités par Ceau. Tout cela avait ete préétabli en fait pour arriver a ces mesurettes. On a dépensé de l'argent pour les harkis mais bien souvent hélas elles ont servis le plus souvent à des actions étrangères à l'objet pour lesquelles elles étaient faites. Ce rapport est un coup d'épée dans l'eau elle ne fait que regarder une nouvelle fois l'attente de la communauté. De nombreux membres ont décidé d'ester en justice on ne peut que les en féliciter.
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