13 Mai 2021
* Avec en bas de page, la liste des régions qui ont commémoré l'abandon des harkis du 12 Mai 2021-
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Il y a cinquante-neuf ans, le gouvernement français décidait d’abandonner les soldats arabo-berbères qui avaient rejoint les rangs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Dans une tribune au « Monde », un collectif, composé de membres d’associations, de l’historienne Fatima Besnaci-Lancou et de la journaliste Dalila Kerchouche, rappelle cet épisode tragique.
Tribune. Qui se souvient encore des harkis ? Peu de films leur sont consacrés, et leur histoire est absente des manuels scolaires. Nombre d’entre eux, très âgés, sont décédés. Avec eux, une mémoire française singulière disparaît. Lors de son entrée à l’Académie française, Simone Veil (1927-2017) déclarait au sujet des harkis : « La tragédie de ces familles entières abandonnées laisse une tache indélébile sur notre histoire contemporaine. »
Cet abandon est daté.
Le 12 mai 1962, par un simple télégramme, le gouvernement français scelle le sort de ces hommes et de leurs familles. Ce jour-là, Pierre Messmer, ministre des armées, interdit toute initiative individuelle pour le rapatriement des harkis et menace de sanctionner les militaires qui désobéiraient.
Le 16 mai, Louis Joxe, ministre d’Etat en charge des affaires algériennes, annonce à son tour le renvoi en Algérie des « supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement » (à partir du 20 mai). Il demande « d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ».
Malgré ces intimidations et cet ultimatum, environ 43 000 personnes arrivent en France grâce au dévouement de militaires français, qui mettent en place des filières semi-clandestines, voire clandestines. Jour après jour, ils accueillent dans les casernes françaises ces hommes dont les autorités civiles ne voulaient plus. Souvent accompagnés de leurs familles, qu’il fallait également protéger des persécutions qu’elles subissaient.
Un plan de rapatriement restrictif
Comment le gouvernement en est-il arrivé à une si terrible décision ? Un an avant la signature des accords d’Evian censés, entre autres, mettre fin à la guerre et à ses violences, le sort des harkis est débattu à Paris. Les conclusions d’une étude confiée à un haut fonctionnaire d’Etat sont inflexibles. Leur rapatriement en France n’est « ni à prévoir, ni à souhaiter, encore moins à encourager… » (Chantal Morelle, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2004/3, n° 83).
Le 18 mars 1962, les accords d’Evian sont signés par des représentants des deux
parties. Le soir même, des harkis et leurs familles font l’objet de violences de la part de membres du FLN. Pour ne citer qu’un exemple, à Saint-Denis-du-Sig (région de l’Oranie), on dénombre plusieurs harkis massacrés (Les Harkis, de Fatima Besnaci-Lancou et Abderahmen Moumen, Le Cavalier Bleu, 2008).
Face aux massacres, la question du sort des harkis devient pressante. Début avril 1962, Louis Joxe demande à Robert Boulin, secrétaire d’Etat aux rapatriés, d’établir un plan de rapatriement.
Il est restrictif – au maximum cinq mille personnes. La liste précise de ces personnes doit être établie avant le scrutin d’autodétermination, le 3 juillet 1962. Elle doit aussi être accompagnée de justificatifs prouvant que la vie de ces personnes est réellement menacée. Une telle formalité exigée est étonnante lorsqu’on sait que les harkis sont pour la plupart d’entre eux analphabètes.
Persécutions et massacres
Très vite, des officiers français s’élèvent contre le plan restrictif. Malgré les interdictions de ramener des harkis en dehors du plan de rapatriement, certains militaires désobéissent. Ils continuent à accueillir les harkis et leurs familles. Certains les exfiltrent de leurs villages et les mettent à l’abri des persécutions dont ils sont victimes.
A l’instar d’autres responsables militaires, et malgré les menaces de Paris, le lieutenant François Meyer refuse d’abandonner les harkis qu’il commandait, ainsi que leurs familles. Dans une clandestinité assumée, il transfère plusieurs centaines de personnes en France. Les autorités civiles françaises sont mises devant le fait accompli. En Algérie, comme en France, des camps militaires s’ouvrent et s’organisent pour accueillir le flot humain.
Sourd aux persécutions et aux massacres de l’été 1962, le gouvernement français va plus loin et retire aux harkis leur nationalité française. L’ordonnance du 21 juillet 1962, précisant la loi n° 62-421 du 13 avril, stipule que les Français « de statut civil de droit local », dont font partie les familles de harkis, perdent la nationalité française au profit de la nationalité algérienne, sauf si elles souscrivent auprès des autorités françaises une « déclaration recognitive ». Cette souscription ne peut s’accomplir qu’en France alors que tout est mis en place pour le maintien des harkis en Algérie.
Quelques jours plus tard, le 25 juillet 1962, lors du conseil des ministres, lorsque Pierre Messmer sollicite un accord de principe en faveur du « rapatriement » des harkis et des fonctionnaires menacés, le général de Gaulle, chef de l’Etat, s’y oppose.
Lacouture, Vidal-Naquet, Allais
Il déclare avec cynisme que les harkis ne sont pas des rapatriés mais des réfugiés, car ils « ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés » (C’était De Gaulle, d’Alain Peyrefitte, Gallimard, 1994). Quatre jours auparavant, il avait fait d’eux des étrangers !
Des voix s’indignent. Le journaliste Jean Lacouture, l’historien Pierre Vidal-Naquet (Le Monde du 12-13 novembre 1962) et le prix Nobel d’économie Maurice Allais (Combat, du 8 décembre 1962) dénoncent les persécutions des harkis et leur abandon en Algérie. Car tous les moyens mis en place par Paris pour empêcher les harkis et leurs familles de quitter l’Algérie ont eu des conséquences tragiques pour des centaines de milliers de personnes.
Mort sociale et discrimination pour ceux restés en Algérie, massacre de dizaines de milliers de harkis, internement ou emprisonnement de milliers d’hommes dans des conditions inhumaines, tortures, humiliations. Ceux arrivés en France sont relégués dans des camps et surveillés. Au camp de Rivesaltes, « les sorties du camp ne doivent être autorisées que pour des motifs sérieux » (courrier de Georges Pompidou adressé le 8 décembre 1962 au ministre des armées – Référence d’archives CAC 19920149/1).
Cette situation aurait-elle pu être évitée ?
Rares sont les historiens qui se penchent sur la question. Dans Le Figaro du 17 juin 2000, Jean Daniel écrit : « Nous avons tous à demander pardon aux harkis. » Et le 17 septembre 2009, dans son éditorial du Nouvel Observateur, il affirme : « De Gaulle a abandonné les harkis : c’est son crime ; et le nôtre. »
Voilà pourquoi nous ne commémorons pas cette journée.
Liste des signataires : Hacène Arfi, président de la Coordination harka ; Fatima Benamara, présidente de Harkis et droits de l’homme ; Fatima Besnaci-Lancou, historienne spécialisée sur la guerre d’Algérie et ses suites ; Slimane Djera, président du Collectif des associations harkies d’Aix et du pays d’Aix-en-Provence ; Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis (CNLH) ; Dalila Kerchouche, grand reporter, auteure et scénariste ; Ahmed Mestar, président de l’Association vendéenne d’anciens combattants et rapatriés d’Algérie (Avacra).
12/05/2021
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* Pour mémoire, la liste des commémorations du 12 mai -
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